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Mistral (Frédéric, 1830 – 1914)

Mes Origines – Mémoires et Récits.

 

Frédéric Mistral est un écrivain et un lexicographe français de langue provençale (occitane), né le 8 septembre 1830 à Maillane (Bouches-du-Rhône), où il est mort le 25 mars 1914 et inhumé. Mistral fut membre fondateur du Félibrige, membre de l'Académie de Marseille et, en 1904, Prix Nobel de littérature.

 

XIXème siècle.

Mémoires.                                                                                                                                                                                 Amours enfantines.

Premiers émois amoureux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Frédéric Mistral, par Félix-Auguste Clément.

 

 

 

 

CHAPITRE VI. - Chez M. Millet.

(...)

 

Je fis, cette année-là, ma première communion à l'église Saint-Didier, qui était notre paroisse, et c'était le sonneur Fanot, chanté plus tard par Roumanille dans sa Cloche montée, qui nous sonnait le catéchisme. Deux mois avant la cérémonie, M. Millet nous menait à l'église pour y être interrogés. Et là, mêlés aux autres enfants, garçonnets et fillettes, qui devions communier ensemble, on nous faisait asseoir sur des bancs, au milieu de la nef. Le hasard fit que moi, qui étais le dernier de la rangée des garçons, je me trouvai placé près d'une charmante fille qui était la première de la rangée des demoiselles. On l'appelait Praxède et elle avait, sur les joues, deux fleurs de vermillon semblables à deux roses fraîchement épanouies.

Ce que c'est que les enfants : attendu que, tous les jours, on se rencontrait ensemble, assis l'un près de l'autre ; que, sans penser à rien, nous nous touchions le coude, et que nous nous communiquions, dans la moiteur de notre haleine, à l'oreille, en chuchotant, nos petits sujets de rire, ne finîmes-nous pas (le bon Dieu me pardonne !) par nous rendre amoureux ?

Mais c'était un amour d'une telle innocence, et tellement empreint d'aspirations mystiques, que les anges, là-haut, s'ils éprouvent entre eux des affections réciproques, doivent en avoir de pareilles. L'un comme l'autre, nous avions douze ans : l'âge de Béatrix, lorsque Dante la vit1 ; et c'est cette vision de la jeune vierge en fleur qui a fait le Paradis du grand poète florentin. Il est un mot, dans notre langue, qui exprime très bien ce délice de l'âme dont s'enivrent les couples dans la prime jeunesse : nous nous agréions. Nous avions plaisir à nous voir. Nous ne nous vîmes jamais, il est vrai, que dans l'église ; mais, rien que de nous voir, notre coeur était plein. Je lui souriais, elle souriait; nous unissions nos voix dans les mêmes cantiques d'amour, d'actions de grâces; vers les mêmes mystères nous exaltions, naïfs, notre foi spontanée... Oh ! aube de l'amour, où s'épanouit en joie l'innocence, comme la marguerite dans le frais du ruisseau, première aube de l'amour, aube pure envolée !

Voici mon souvenir de Mlle Praxède, telle que je la vis pour la dernière fois : tout de blanc vêtue, couronnée de fleurs d'aubépine, et jolie à ravir sous son voile transparent, elle montait à l'autel, tout près de moi, comme une épousée, belle petite épousée de l'Agneau !

Notre communion faite, la chose finit là. C'est en vain que longtemps, quand nous passions dans sa rue (elle habitait rue de la Lice), je portai mes regards avides sous les abat-jour verts de la maison de Praxède. Je ne pus jamais la revoir. On l'avait mise au couvent et, alors, de songer que ma charmante amie, avec le vermillon et le sourire de son visage, m'était enlevée pour toujours, soit de cela, soit d'autre chose, je tombai dans une langueur à me dégoûter de tout.

 

                                                                                     Extrait de Mes Origines – Mémoires et Récits, de Frédéric Mistral. (Traduction du provençal)                                                                                                              Paris, Librairie Plon.

 

1. Voyez Dante (Note de M. Lemonnier).

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