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Bach (Johann Sebastian, 1702 - 1766)

Concerto pour quatre clavecins BWV 1065

 

Aucun rapport avec le texte de Zola, mais  1) Bach est un de mes compositeurs préférés et  2) j'adore le clavecin.

Alors, en atttendant de trouver une pièce musicale davantage adaptée...

 

Zola (Emile, 1840 – 1902)

Le Ventre de Paris.

 

 

Émile Zola, né à Paris le 2 avril 1840, mort à Paris le 29 septembre 1902, est un écrivain, journaliste et homme public français, considéré comme le chef de file du naturalisme.

Le Ventre de Paris est un roman d’Émile Zola publié en 1873, le troisième de la série Les Rougon-Macquart. L’action se passe pour l’essentiel aux Halles centrales de Paris, construites par Victor Baltard entre 1854 et 1870, énorme bâtiment à structure métallique dans lequel les murs sont remplacés par des vitres, la plus grande innovation architecturale du Second Empire. Fasciné par les Halles, Zola en fait dans son roman une sorte de monstre, comme le seront plus tard le grand magasin dans Au Bonheur des Dames, l’alambic dans l'Assommoir ou la locomotive dans La Bête humaine.

 

 

XIXème siècle.

Littérature.

Amours enfantines.

Emile Zola.

 

 

 

Emile Zola.

 

 

 

Chapitre IV.

 

          Marjolin fut trouvé au marché des Innocents, dans un tas de choux, sous un chou blanc, énorme, et dont une des grandes feuilles rabattues cachait son visage rose d'enfant endormi.

 

(...)

          Marjolin allait avoir quatre ans, lorsque la mère Chantemesse fit à son tour la trouvaille d'une petite fille, sur le trottoir de la rue Saint-Denis, au coin du marché. La petite pouvait avoir deux ans, mais elle bavardait déjà comme une pie, écorchant les mots dans son babil d'enfant ; si bien que la mère Chantemesse crut comprendre qu'elle s'appelait Cadine, et que sa mère, la veille au soir, l'avait assise sous une porte, en lui disant de l'attendre. L'enfant avait dormi là ; elle ne pleurait pas, elle racontait qu'on la battait. Puis, elle suivit la mère Chantemesse, bien contente, enchantée de cette grande place, où il y avait tant de monde et tant de légumes. La mère Chantemesse, qui vendait au petit tas, était une digne femme, très bourrue, touchant déjà la la soixantaine ; elle adorait les enfants, ayant perdu trois garçons au berceau. Elle pensa que "cette roulure-là semblait une trop mauvaise gale pour crever", et elle adopta Cadine. Mais, un soir, comme la mère Chantemesse s'en allait, tenant Cadine de la main droite, Marjolin lui prit sans façon la main gauche.

          — Eh ! mon garçon, dit la vieille en s'arrêtant, la place est donnée... Tu n'es donc plus avec la grande Thérèse ! Tu es un fameux coureur, sais-tu?

              Il la regardait, avec son rire, sans la lâcher. Elle ne put rester grondeuse, tant il était joli et bouclé. Elle murmura :

              — Allons, venez, marmaille... Je vous coucherai ensemble.

          Et elle arriva rue au Lard, où elle demeurait, avec un enfant de chaque main. Marjolin s'oublia chez la mère Chantemesse. Quand ils faisaient par trop de tapage, elle leur allongeait quelques taloches, heureuse de pouvoir crier, de se fâcher, de les débarbouiller, de les fourrer sous la même couverture. Elle leur avait installé un petit lit, dans une vieille voiture de marchand des quatre-saisons, dont les roues et les brancards manquaient. C'était comme un large berceau, un peu dur, encore tout odorant des légumes qu'elle y avait longtemps tenus frais sous des linges mouillés. Cadine et Marjolin dormirent là, à quatre ans, aux bras l'un de l'autre.

          Alors, ils grandirent ensemble, on les vit toujours les mains à la taille. La nuit, la mère Chantemesse les entendait qui bavardaient doucement. La voix flûtée de Cadine, pendant des heures, racontait des choses sans fin, que Marjolin écoutait avec des étonnements plus sourds. Elle était très méchante, elle inventait des histoires pour lui faire peur, lui disait que, l'autre nuit, elle avait vu un homme tout blanc, au pied de leur lit, qui les regardait, en tirant une grande langue rouge. Marjolin suait d'angoisse, lui demandait des détails ; et elle se moquait de lui, elle finissait par l'appeler "grosse bête". D'autres fois, ils n'étaient pas sages, ils se donnaient des coups de pied, sous les couvertures ; Cadine repliait les jambes, étouffait ses rires, quand Marjolin, de toutes ses forces, la manquait et allait taper dans le mur. Il fallait, ces fois-là, que la mère Chantemesse se levât pour border les couvertures ; elle les endormait tous les deux d'une calotte, sur l'oreiller. Le lit fut longtemps ainsi pour eux un lieu de récréation ; ils y emportaient leurs joujoux, ils y mangeaient des carottes et des navets volés ; chaque matin, leur mère adoptive était toute surprise d'y trouver des objets étranges, des cailloux, des feuilles, des trognons de pommes, des poupées faites avec des bouts de chiffon. Et, les jours de grands froids, elle les laissait là, endormis, la tignasse noire de Cadine mêlée aux boucles blondes de Marjolin, les bouches si près l'une de l'autre, qu'ils semblaient se réchauffer de leur haleine.

 

          Cette chambre de la rue au Lard était un grand galetas, délabré, qu'une seule fenêtre, aux vitres dépolies par les pluies, éclairait. Les enfants y jouaient à cache-cache, dans la haute armoire de noyer et sous le lit colossal de la mère Chantemesse. Il y avait encore deux ou trois tables, sous lesquelles ils marchaient à quatre pattes. C'était charmant, parce qu'il n'y faisait pas clair, et que des légumes traînaient dans les coins noirs. La rue au Lard, elle aussi, était bien amusante, étroite, peu fréquentée, avec sa large arcade qui s'ouvre sur la rue de la Lingerie. La porte de la maison se trouvait à côté même de l'arcade, une porte basse, dont le battant ne s'ouvrait qu'à demi sur les marches grasses d'un escalier tournant. Cette maison, à auvent, qui se renflait, toute sombre d'humidité, avec la caisse verdie des plombs, à chaque étage, devenait, elle aussi, un grand joujou. Cadine et Marjolin passaient leurs matinées à jeter d'en bas des pierres, de façon à les lancer dans les plombs, les pierres descendaient alors le long des tuyaux de descente, en faisant un tapage très réjouissant. Mais ils cassèrent deux vitres, et ils emplirent les tuyaux de cailloux, à tel point que la mère Chantemesse, qui habitait la maison depuis quarante-trois ans, faillit recevoir congé.

 

          Cadine et Marjolin s'attaquèrent alors aux tapissières, aux haquets, aux camions, qui stationnaient dans la rue déserte. Ils montaient sur les roues, se balançaient aux bouts de chaîne, escaladaient les caisses, les paniers entassés. Les arrière-magasins des commissionnaires de la rue de la Poterie ouvraient là de vastes salles sombres, qui s'emplissaient et se vidaient en un jour, ménageant à chaque heure de nouveaux trous charmants, des cachettes, où les gamins s'oubliaient dans l'odeur des fruits secs, des oranges, des pommes fraîches. Puis, ils se lassaient, ils allaient retrouver la mère Chantemesse, sur le carreau des Innocents. Ils y arrivaient, bras dessus, bras dessous, traversant les rues avec des rires, au milieu des voitures, sans avoir peur d'être écrasés. Ils connaissaient le pavé, enfonçant leurs petites jambes jusqu'aux genoux dans les fanes de légumes ; ils ne glissaient pas, ils se moquaient, quand quelque routier, aux souliers lourds, s'étalait les quatre fers en l'air, pour avoir marché sur une queue d'artichaut. Ils étaient les diables roses et familiers de ces rues grasses. On ne voyait qu'eux. Par les temps de pluie, ils se promenaient gravement, sous un immense parasol tout en loques, dont la marchande au petit tas avait abrité son éventaire pendant vingt ans ; ils le plantaient gravement dans un coin du marché, ils appelaient ça "leur maison". Les jours de soleil, ils galopinaient, à ne plus pouvoir remuer le soir ; ils prenaient des bains de pieds dans la fontaine, faisaient des écluses en barrant les ruisseaux, se cachaient sous des tas de légumes, restaient là, au frais, à bavarder, comme la nuit, dans leur lit. On entendait souvent sortir, en passant à côté d'une montagne de laitues ou de romaines, un caquetage étouffé. Lorsqu'on écartait les salades, on les apercevait, allongés côte à côte, sur leur couche de feuilles, l'oeil vif, inquiets comme des oiseaux découverts au fond d'un buisson. Maintenant, Cadine ne pouvait se passer de Marjolin, et Marjolin pleurait, quand il perdait Cadine. S'ils venaient à être séparés, ils se cherchaient derrière toutes les jupes des Halles, dans les caisses, sous les choux. Ce fut surtout sous les choux qu'ils grandirent et qu'ils s'aimèrent.

 

          Marjolin allait avoir huit ans, et Cadine six, quand la mère Chantemesse leur fit honte de leur paresse. Elle leur dit qu'elle les associait à sa vente au petit tas ; elle leur promit un sou par jour, s'ils voulaient l'aider à éplucher ses légumes. (...) A huit ans, elle se fit enrôler par une de ces marchandes qui s'asseoient sur un banc, autour des Halles, avec un panier de citrons, que toute une bande de gamines vendent sous leurs ordres (...) L'année suivante, elle plaça des bonnets à neuf sous (...) Enfin, à onze ans, elle réalisa une grande idée qui la tourmentait depuis longtemps. elle économisa quatre francs en deux mois, fit l'emplette d'une petite hotte, et se mit marchande de mouron.

 

(...)

          Cadine vendit aussi du cresson. "A deux sous la botte ! A deux sous la botte !" Et c'était Marjolin qui entrait dans les boutiques pour offrir "le beau cresson de fontaine, la santé du corps !" Mais les Halles centrales venaient d'être construites ; la petite restait en extase devant l'allée aux fleurs qui traverse le pavillon des fruits. Là, tout le long, les bancs de vente, comme des plates-bandes aux deux bords d'un sentier, fleurissent, épanouissent de gros bouquets ; c'est une moisson odorante, deux haies épaisses de roses, entre lesquelles les filles du quartier aiment à passer, souriantes, un peu étouffées par la senteur trop forte ; et, en haut des étalages, il y a des fleurs artificielles, des feuillages de papier où des gouttes de gomme font des gouttes de rosée, des couronnes de cimetière en perles noires et blanches qui se moirent de reflets bleus. Cadine ouvrait son nez rose avec des sensualités de chatte ; elle s'arrêtait dans cette fraîcheur douce, emportait tout ce qu'elle pouvait de parfum. Quand elle mettait son chignon sous le nez de Marjolin, il disait que ça sentait l'oeillet. Elle jurait qu'elle ne se servait plus de pommade, qu'il suffisait de passer dans l'allée. Puis, elle intrigua tellement, qu'elle entra au service d'une des marchandes. Alors, Marjolin trouva qu'elle sentait bon des pieds à la tête. Elle vivait dans les roses, dans les lilas, dans les giroflées, dans les muguets. Lui, flairant la jupe, longuement, en manière de jeu, semblait chercher, finissait par dire : "Ca sent le muguet." Il montait à la taille, au corsage, reniflait plus fort : "Ca sent la giroflée." Et aux manches, à la jointure des poignets : "Ca sent le lilas." Et à la nuque, tout autour du cou, sur les joues, sur les lèvres : "Ca sent la rose." Cadine riait, l'appelait "bêta", lui criait de finir, parce qu'il lui faisait des chatouilles avec le bout de son nez. Elle avait une haleine de jasmin. Elle était un bouquet tiède et vivant. (...) Elle disait à Marjolin qu'un beau camélia blanc, sans piqûre de rouille, était une chose rare, tout à fait belle. Comme elle lui en faisait admirer un, il s'écria, un jour :

          — Oui, c'est gentil, mais j'aime mieux le dessous de ton menton, là, à cette place ; c'est joliment plus doux et plus transparent que ton camélia... Il y a des petites veines bleues et roses qui ressemblent à des veines de fleur.

                Il la caressait du bout des doigts ; puis il approcha le nez, murmurant :

                — Tiens, tu sens l'oranger, aujourd'hui.

           Cadine avait un très mauvais caractère. Elle ne s'accommodait pas du rôle de servante. Aussi finit-elle par s'établir pour son compte. Comme elle était alors âgée de treize ans, et qu'elle ne pouvait rêver le grand commerce, un banc de vente de l'allée aux fleurs, elle vendit des bouquets de violettes d'un sou, piquées dans un lit de mousse, sur un éventaire d'osier pendu à son cou. (...) Quand elle passait, elle laissait une odeur douce. Marjolin la suivait béatement. Des pieds à la tête, elle ne sentait plus qu'un parfum. Lorsqu'il la prenait, qu'il allait de ses jupes à son corsage, de ses mains à sa face, il disait qu'elle n'était que violette, qu'une grande violette. Il enfonçait sa tête, il répétait :

              — Tu te rappelles, le jour où nous ommes allés à Romainville ? C'est tout à fait ça, surtout dans ta manche... Ne change plus. Tu sens trop bon.

            Elle ne changea plus. Ce sut son dernier métier. Mais les deux enfants grandissaient, souvent elle oubliait son éventaire pour courir le quartier. (...)

          Cadine et Marjolin ne couchaient plus ensemble, chez la mère Chantemesse, dans la voiture de marchand des quatre-saisons. La vieille, qui les entendait toujours bavarder la nuit, fit un lit à part pour le petit, par terre, devant l'armoire ; mais, le lendemain matin, elle le retrouva au cou de la petite sous la même couverture. Alors elle le coucha chez une voisine. Cela rendit les enfants très malheureux. Dans le jour, quand la mère Chantemesse n'était pas là, ils se prenaient tout habillés entre les bras l'un de l'autre, ils s'allongeaient sur le carreau, comme sur un lit ; et cela les amusait beaucoup. Plus tard, ils polissonnèrent, ils cherchèrent les coins noirs de la chambre, ils se cachèrent plus souvent au fond des magasins de la rue au Lard, derrière les tas de pommes et les caisses d'oranges. Ils étaient libres et sans honte, comme les moineaux qui s'accouplent au bord d'un toit. (...)

 

 

                                                                       Emile Zola, Le Ventre de Paris. Edition du groupe "Ebooks libres et gratuits"                                                                                                                       http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits.

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